Tom Letellier


Monument Valley


Ce mémoire explore la rencontre entre savoir-faire artisanal et design contemporain à travers la fonte de bronze au sable. Cette technique séculaire, symbole de durabilité et de mémoire, est réinterprétée pour interroger sa pertinence à l’ère de l’innovation technologique.

Après une analyse de la place du bronze dans l’histoire et l’artisanat, mettant en lumière ses valeurs d’intemporalité, l’étude examine comment la fonte au sable, ancrée dans des gestes anciens, dialogue avec les outils modernes pour ouvrir la voie à des pratiques hybrides.

Ces réflexions prennent forme dans une collection de mobilier et d’objets sculpturaux inspirés par les reliefs de la Monument Valley, traduisant ce paysage en objets-paysages mêlant art et design.

Cet écrit propose ainsi une vision où tradition artisanale et évolutions technologiques s’unissent pour raconter des récits intemporels, réinventant le rôle du design comme vecteur de dialogue entre mémoire, matière et création.



1/3 : F
eu, sable et bronze
︎ Octobre 2024
2/3 : 
Le choix du bronze
︎ Novembre 2024
3/3 :
Le bronze comme récit paysager
︎ Décembre 2024

Chapitre 1


Feu, sable et bronze


Ce premier chapitre retrace un parcours personnel et historique autour du bronze, en mettant en avant ses qualités intemporelles et son rôle de matériau porteur de mémoire. Il explore les origines millénaires de la métallurgie du bronze et son impact sur les sociétés humaines à travers les âges, tout en soulignant l’importance de la fonderie d’art en France, où le bronze s’est affirmé comme un matériau noble, incarnant durabilité et prestige.

Cette analyse ouvre une réflexion sur la pertinence de ce savoir-faire ancestral dans un monde en constante évolution. Symbole de pérennité, le bronze questionne notre rapport au temps, à la matérialité et à l’héritage, tout en offrant une perspective renouvelée pour conjuguer tradition et modernité dans le design contemporain.



Moules de fonderie

“Le monde a deux histoires : l'histoire de ses actes, celle que l'on grave dans le bronze, et

l'histoire de ses pensées…”


Georges Duhamel



Préambule :  À l’origine, une fascination pour le bronze


    L’intérêt que je porte à la fonte de bronze au sable trouve son origine dans un moment précis de mon enfance, un instant qui a marqué mon parcours. Tout a commencé lors de ma première visite dans un lieu unique, le musée Bourdelle, un endroit presque reculé au cœur de Paris, qui m’a profondément touché. J’avais environ huit ans. Ce jour-là, une fascination est née en moi, une fascination qui n’a cessé de croître au fil des années. En parcourant les jardins du musée, entouré de sculptures imposantes et silencieuses, j’ai ressenti une attirance particulière pour ces œuvres. Elles semblaient presque vivantes, capturant le mouvement, la posture et l’émotion avec une précision qui m’a laissé pantois. Mais ce qui m’a le plus marqué, c’était leur présence en extérieur, dans un espace ouvert, exposées aux éléments et aux forces de la nature, sans pour autant sembler vulnérables. Ces sculptures étaient là pour durer, pour résister à l’épreuve du temps. C’est à ce moment-là, sans en être pleinement conscient, que j’ai commencé à percevoir la puissance du bronze, ce matériau capable de défier le caractère éphémère de l’existence.



Jardins du musée Bourdelle, Paris


Au fil des années, cette impression est restée vivace en moi. Mon environnement familial m’a souvent conduit à côtoyer des ateliers liés au bronze, forgeant ainsi un regard particulier, une sensibilité à cette matière. Sans vraiment m’en rendre compte, le bronze a pris une place particulière dans ma vie, influençant ma perception des matériaux et de leur pérennité. Avec le temps, cette fascination a évolué, se nourrissant de nouvelles découvertes. Les œuvres de Bourdelle, Rodin et Giacometti, que j’avais observées avec des yeux d’enfant, ont progressivement révélé une autre dimension. Elles ne se contentaient plus d’être des sculptures, elles devenaient des conversations silencieuses entre le passé et le présent, entre l’artiste et la matière. Ce bronze, que je percevais autrefois comme éternel, s’est dévoilé comme un médium d’une richesse insoupçonnée, capable de capturer l’essence même d’une trace laissée par l’artiste. Parallèlement, j’ai pu apprécier la manière dont des créateurs contemporains tels que Christian Liaigre, Eric Schmitt et François-Xavier Lalanne ont su réinventer le bronze, le transposer dans des formes nouvelles, le faire vibrer avec une vitalité et une pertinence toujours actuelle dans le design contemporain.

C’est au cours de mon premier stage dans une fonderie d’art que cette fascination a pris une nouvelle profondeur, se muant en une conviction presque obsessionnelle. Le contact direct avec ce savoir-faire, la création de mon premier modèle, ma première fonte… tout cela fut une véritable révélation. Manipuler le sable, ressentir la puissance du métal en fusion, observer le bronze se métamorphoser sous mes yeux… Ces moments ont éveillé en moi une compréhension plus intime de cette matière. Le bronze n’était plus simplement du métal ; il devenait un véritable médium d’expression, un pont tangible entre le passé et l’avenir, capable de transcender l’ordinaire pour révéler l’extraordinaire.




Ma première fonte, sculpture, 2020


Au fil de mon parcours, le bronze s’est révélé être bien plus qu’une simple matière ; il incarne pour moi un symbole de pérennité et un médium d’expression unique. Cette conviction s’est peu à peu ancrée en moi et inspire désormais ma démarche de futur designer. Travailler avec le bronze me semble être un moyen de trouver un équilibre subtil entre tradition et modernité, dans l’idée de concevoir des objets capables de traverser les époques tout en restant profondément enracinés dans le présent, à l’image de ces sculptures qui ont captivé mon regard dès l’enfance.

Le procédé : La fonte de bronze au sable


    Mon intérêt pour la fonte de bronze au sable, né de cette fascination précoce pour le bronze, s'est développé au fil des années. Cette admiration, chevillée au corps depuis mes premières découvertes, trouve aujourd’hui un écho particulier dans ce savoir-faire unique. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est essentiel de saisir le principe de la fonte de bronze au sable, un savoir-faire qui noue un lien profond entre le fondeur et la matière au sein de la fonderie. Ce procédé, véritable passerelle entre les époques, perpétue une tradition où la maîtrise des éléments – le sable, le bronze, le feu – se conjugue avec les gestes précis de l’artisan. Dans cet atelier, où le temps semble suspendu, se déploie une alchimie subtile et millénaire.



Atelier de fonderie, France


1. Préparation du modèle

Le processus débute par la création du modèle, première matérialisation de l’idée. Réalisé en plâtre ou dans un autre matériau sculptable, ce modèle devient le premier contact tangible avec l’œuvre, où l’idée prend forme et volume. Chaque coup d’outil et chaque ajustement sont cruciaux, jusqu’à ce que le modèle incarne parfaitement l’intention créative. Il porte déjà en lui les contours du futur objet en bronze.


2. Préparation du moule en sable

Une fois le modèle terminé, il est enveloppé dans un moule de sable finement calibré, chaque grain étant méticuleusement compacté autour de la forme. Ce processus, qui se construit couche après couche, exige une attention absolue aux détails pour capturer le modèle avec une fidélité absolue. Le modèle disparaît alors, mais laisse derrière lui une empreinte précise, une mémoire tangible qui préserve l’intention du créateur dans la texture même du sable.


3. Coulée du bronze

La coulée du bronze est le cœur du processus, où la matière brute se transforme pour incarner l’essence même de l’objet en devenir. Porté à des températures extrêmes, le métal se liquéfie en une substance incandescente, prête à épouser les contours du moule. Versé avec précision, il s’infiltre dans chaque recoin, réalisant le dessein initial avec une exactitude surprenante. Ce moment crucial, chargé d’anticipation, est à la fois technique et poétique : le bronze, en se refroidissant, révèle peu à peu la forme qu’il renferme, tandis que le fondeur assiste, dans un silence religieux, à la naissance de l’œuvre.


4. Reprise de fonte

Une fois solidifié, le bronze est libéré de son cocon de sable, révélant une forme brute encore marquée par des excès et des imperfections. La reprise de fonte est alors l’étape à laquelle l’objet est affiné, où chaque détail est sculpté avec précision pour redonner à la pièce toute la pureté de sa conception. Ce travail minutieux, fait de gestes précis et de ponçages délicats, est essentiel pour conduire l’œuvre à son expression finale, où l’intention du modèle se matérialise pleinement.


5. Finition

L’étape de la finition marque l’aboutissement du processus, où l’objet prend sa forme définitive et révèle son identité. La ciselure, le polissage et la patine sont autant de gestes précis qui viennent sublimer la matière, définissant sa couleur, sa texture et son caractère unique. C’est à ce stade que l’objet en bronze dévoile pleinement son essence, affirmant sa présence et son potentiel. C’est ici que l’œuvre acquiert sa forme finale, prête à traverser les époques, à être touchée, admirée pour sa beauté intemporelle.




Moule en sable

Introduction : Le bronze, résonance contemporaine d’un matériau millénaire


    Le bronze, matériau semi-précieux et chargé d’histoire, a traversé les siècles comme symbole de durabilité︎1︎et de puissance.︎2︎Pourtant, à une époque où les valeurs du design contemporain, telles que l’impact environnemental, la fonctionnalité, et l’innovation technologique, évoluent constamment, il devient pertinent de s’interroger sur la place de ce matériau et, en particulier, sur la technique ancestrale de la fonte de bronze au sable. Au-delà d’un simple héritage à célébrer, cela représente un véritable défi : comment un matériau, façonné par des gestes aussi anciens, peut-il encore trouver sa place dans un contexte où l’optimisation des ressources, la production durable et l’innovation dominent le discours créatif ?

La fonte de bronze au sable, qui allie la maîtrise des éléments à des gestes minutieux, dépasse la simple technique artisanale. Elle incarne une relation intime entre l’homme et la matière, une alchimie subtile qui témoigne de notre capacité à transformer et à façonner nos idées les plus audacieuses. Cependant, face à l’accélération technologique et à l'impératif croissant de réduire les émissions liées aux procédés de production, ce savoir-faire traditionnel se trouve à un tournant. Peut-il encore répondre aux attentes contemporaines ou est-il destiné à devenir un vestige du passé ?



Moule après la coulée du bronze


Cette tension entre tradition et enjeux contemporains, entre la pérennité du bronze et les exigences du design actuel, constitue un axe d'exploration central dans ces recherches. Le bronze, avec sa matérialité brute et sa capacité à traverser les âges, semble parfaitement en phase avec les évolutions du design. Toutefois, son utilisation soulève des questions cruciales, notamment face aux nouvelles attentes environnementales : comment appréhender un matériau aussi symbolique dans un contexte où légèreté, efficacité et durabilité sont devenues des priorités ? Comment concilier des techniques artisanales anciennes avec les avancées industrielles modernes, sans compromettre l'intégrité du matériau, du savoir-faire, ni l'impact de sa production ? Ces défis, oscillant entre préservation du patrimoine et adaptation aux enjeux contemporains, interrogent la place de la fonte de bronze au sable dans le design actuel.

En explorant ces pistes, ces recherches visent à établir un lien entre héritage et devenir à travers le prisme de la fonte de bronze au sable. Il ne s’agit pas seulement de comprendre pourquoi ce matériau continue de captiver, mais aussi d’analyser les défis que son utilisation pose à notre époque. Ce travail se situe dans un dialogue entre temps et matière, entre tradition et innovation, avec pour ambition de redéfinir la place du bronze dans notre époque, non pas comme une simple persistance du passé, mais comme une source d’inspiration renouvelée et pertinente
︎1︎Fait ici référence à la capacité du bronze à perdurer dans le temps, en raison de sa résistance à la corrosion, et à son potentiel d’être recyclé à l'infini sans perte de qualité.

︎2︎LEROI-GOURHAN, André, Le geste et la parole, Paris, Albin Michel, 1964. Dans cet ouvrage, Leroi-Gourhan discute de l’évolution des techniques et des matériaux à travers les âges.

1. Le voyage du bronze à travers les âges


    L’histoire de la métallurgie remonte à des millénaires, avec l’utilisation de métaux comme l’or et le cuivre, appréciés pour leur malléabilité mais trop mous pour fabriquer des outils durables. Les métallurgistes ont découvert le bronze en combinant le cuivre avec de l’étain, créant un alliage plus dur et résistant. Cette innovation a marqué un tournant majeur, permettant la production d’outils, d’armes, et d’objets rituels, jouant ainsi un rôle central dans le développement des premières sociétés humaines.︎3︎



Planche d’archive, fonderie de Larnaud, Jura, France


L’âge du bronze, s’étendant de 3300 à 1200 av. J.-C., constitue une période charnière dans l’histoire de l’humanité. L’introduction du bronze a profondément transformé les techniques de production tout en influençant les structures sociales et économiques. ︎4︎Ce métal durable a permis l’émergence de nouvelles élites, les artisans et guerriers maîtrisant sa production devenant des figures centrales. En parallèle, les échanges commerciaux se sont intensifiés, permettant au bronze et à ses matières premières de circuler à travers de vastes réseaux, enrichissant les cultures et stimulant leur développement.

L’arrivée du bronze a ainsi favorisé une plus grande complexité sociale et renforcé les échanges économiques et culturels, posant les fondations d’une Europe plus interconnectée et influençant durablement la trajectoire de ses sociétés.


Planche d’archive, Palafittes du Bourget, France


Vers le XIIe siècle av. J.-C., l’apparition du fer, plus résistant et accessible que le bronze, a conduit les sociétés européennes à adopter ce nouveau métal pour la fabrication d’outils et d’armes, inaugurant l’âge du fer. Cependant, cette transition n’a pas marqué la fin du bronze. Le matériau a évolué pour devenir un symbole de raffinement et de prestige, réservé à l’ornementation et à l’art. Les artisans ont perfectionné les techniques de fonte de bronze, créant des objets d’art, des statues et des ornements de luxe, transformant ainsi le bronze en un médium privilégié dans l’art européen, exprimant pouvoir, spiritualité et esthétique.
︎3︎ELUÈRE, Christiane, MOHEN, Jean-Pierre, L’Âge du bronze en Europe, Paris, Gallimard, 1991. Voir cet ouvrage pour un aperçu détaillé de l’impact de cette découverte sur les sociétés anciennes.

︎4︎ ELUÈRE, Christiane et MOHEN, Jean-Pierre, L’Âge du bronze en Europe, Paris, Gallimard, 1991. À voir également.

2. La fonderie d’art en France - Un héritage de pérennité


    Au XIXe et au début du XXe siècle, la France s'impose comme le cœur battant de la fonderie d'art, en grande partie grâce à des institutions telles que Susse Fondeurs, Barbedienne, et Valsuani. Ces fonderies n'ont pas seulement perfectionné les techniques de la fonte de bronze ; elles ont aussi contribué à élever ce matériau au rang de symbole national. Le bronze, déjà prisé pour sa durabilité dans le temps et sa beauté, acquiert en France une nouvelle dimension symbolique, devenant le matériau par excellence des monuments publics et des œuvres commémoratives.

Les fonderies comme Susse Fondeurs ont joué un rôle essentiel dans la production de sculptures monumentales destinées à orner les espaces publics. Grâce à leur expertise technique, ces fonderies ont su répondre aux commandes de l'État, produisant des œuvres en bronze qui incarnent des valeurs de pérennité et de grandeur. Le bronze est ainsi devenu le matériau privilégié pour immortaliser les grandes figures de l'histoire française, les héros nationaux, et les événements marquants.


Bronze en fusion


La symbolique du bronze s’étend également à la sphère privée et artistique. En collaborant avec des sculpteurs de renom tels que Antoine Bourdelle, Auguste Rodin, Alberto Giacometti et François Pompon, les fonderies françaises ont façonné une image du bronze comme un matériau noble et intemporel. Dans l’imaginaire collectif, le bronze ne représente pas seulement la durabilité, il incarne aussi un symbole de statut et de raffinement. Que ce soit pour des sculptures monumentales ou des œuvres d’art décoratif, les objets en bronze sont perçus comme des pièces de grande valeur, alliant maîtrise technique et beauté artistique.

La complexité de sa mise en œuvre renforce la valeur perçue du bronze. La fonte de bronze est un processus exigeant, nécessitant non seulement une grande expertise technique, mais aussi une profonde compréhension de la matière. Cette exigence confère au bronze une valeur ajoutée : chaque pièce est le fruit d’un savoir-faire ancestral et d’un travail minutieux, capable de traverser les époques. Cette dimension artisanale distingue le bronze des matériaux plus courants, en faisant un objet de désir, recherché pour son excellence et sa capacité à perdurer dans le temps.

Qu’elles soient publiques ou privées, les œuvres en bronze sont investies d’une signification particulière, incarnant des valeurs qui transcendent le temps. Cette perception du bronze, à la fois comme matériau durable et symbole de prestige, a contribué à sa pérennité dans l’art et la culture française.

En somme, les grandes fonderies françaises, en collaboration avec les sculpteurs les plus talentueux de leur époque, ont non seulement perfectionné la technique de la fonte de bronze, mais ont aussi participé à l'établissement du bronze comme symbole de pouvoir et de raffinement. Ce matériau, perçu à la fois comme un héritage et une œuvre d'art en soi, continue de résonner dans l'imaginaire collectif, témoignant de son importance durable dans l'histoire de l'art et de la culture française.

3. La fonte de bronze contemporaine - Qu’est-il resté de ce savoir-faire ?


La fonte de bronze, autrefois omniprésente, traverse aujourd’hui une période de repli face à l’évolution rapide des techniques, des marchés et des matériaux. Ce savoir-faire, bien que moins visible, n’a pas totalement disparu. Il trouve encore sa place principalement dans l’art, la restauration d’œuvres patrimoniales et l’ameublement de luxe. Ces secteurs, bien que de niche, continuent de valoriser la richesse et la profondeur du bronze, le considérant comme un matériau noble capable de transcender les tendances éphémères.

Cependant, cette persistance est marquée par une certaine fragilité. Confrontée à la concurrence des matériaux modernes et à la pression des coûts, la fonte de bronze s’exerce désormais à une échelle plus réduite. Les ateliers qui perdurent doivent non seulement préserver un savoir-faire ancestral, mais aussi s’adapter à des marchés de plus en plus spécialisés et exigeants. Bien qu’elle puisse sembler en déclin, la fonte de bronze symbolise toujours une excellence artisanale, qui doit se réinventer pour répondre aux attentes du design contemporain.



Fonte de bronze avant la finition


Dans un contexte de fabrication de plus en plus automatisé, la fonte de bronze au sable continue de se démarquer par sa simplicité et son authenticité. Ce savoir-faire, enraciné dans des pratiques ancestrales, reste essentiel pour la création d’œuvres. Le sable, matériau modeste mais crucial, conserve un rôle central dans ce processus artisanal. Alors que la technologie tend à séparer l'humain du processus créatif, le sable réintroduit une matérialité brute, rappelant que la simplicité peut parfois surpasser la complexité technologique.

La résistance du sable, à la fois physique et symbolique, incarne une forme de résilience face aux changements rapides du design et de la fabrication. Cette technique, perçue par certains comme archaïque, pose ainsi la question de l’innovation : peut-on réellement innover tout en préservant les méthodes traditionnelles ? Le sable, gardien d’un savoir-faire ancien, montre que parfois, les solutions les plus durables se trouvent dans des pratiques éprouvées.

Aujourd’hui, malgré les défis, le bronze continue de séduire les créateurs contemporains, qui le considèrent bien plus que comme un simple matériau ancien. Son caractère intemporel, sa texture riche et sa patine naturelle en font une matière d’une profondeur inégalée. Dans le domaine du mobilier, des designers comme Christian Liaigre et Eric Schmitt réinventent le bronze en l’intégrant dans des créations élégantes et pérennes. Le bronze, avec sa capacité à capter la lumière et à jouer sur les textures, devient le point central d’œuvres qui marient subtilement tradition et modernité. Ces créateurs exploitent les qualités du bronze pour concevoir des objets qui transcendent les tendances passagères, offrant une esthétique contemporaine ancrée dans une matérialité authentique.

Au-delà du mobilier, le bronze trouve également sa place dans la joaillerie, l’architecture et même les objets du quotidien. Des artistes comme François-Xavier Lalanne ont su tirer parti de ce matériau pour créer des œuvres qui établissent un dialogue entre histoire et contemporanéité, où chaque pièce en bronze incarne une singularité durable. Le bronze devient ainsi un vecteur d’expression qui reflète une vision contemporaine tout en rendant hommage à ses origines historiques.



Bronze en fusion dans des moules à lingots


Dans un monde de plus en plus conscient des enjeux environnementaux, la production de bronze est parfois remise en question en raison de son impact écologique. L'extraction des minerais, la consommation d'énergie pour la fonte et les émissions de gaz à effet de serre sont autant de défis à relever. Cependant, le bronze présente des atouts écologiques majeurs. Son processus de production repose sur des éléments simples et naturels : le sable, le feu, le bronze lui-même et les oxydes naturels. Ces composants élémentaires permettent de minimiser l’impact environnemental par rapport à d’autres procédés industriels plus complexes et polluants.

De plus, le bronze est recyclable à l'infini, ce qui lui confère une longévité exceptionnelle. Cette capacité à être refondu et réutilisé sans perdre ses propriétés essentielles en fait un choix particulièrement durable à long terme. Les artisans et fondeurs contemporains, conscients des enjeux environnementaux, sont désormais encouragés à adopter des méthodes de production plus responsables. En optimisant les processus, en réduisant les déchets, et en utilisant de plus en plus de bronzes recyclés, ils s'efforcent de minimiser l'empreinte écologique de la fonderie.

Ainsi, l’impact environnemental du bronze, bien que réel, présente des aspects qui, bien pris en compte, en font un matériau résistant. Le fait que son processus de production repose sur des matériaux élémentaires et naturels est en accord avec les exigences éthiques actuelles, rendant le bronze non seulement pertinent, mais aussi relativement respectueux de l’environnement dans le cadre du design contemporain.

Conclusion : La contemporanéité du bronze - un retour à la matérialité


    À l’ère des matériaux composites et des technologies numériques, remettre en avant un savoir-faire séculaire comme la fonte de bronze au sable peut sembler paradoxal. Cependant, c’est précisément cette tension entre héritage traditionnel et contemporanéité, entre la présence physique et tangible du matériau et les réflexions conceptuelles qui ont tendance à guider le design de nos jours, qui rend le bronze si pertinent aujourd’hui.

Le bronze incarne une connexion directe avec l’histoire et l’artisanat. Son poids, sa texture et sa patine racontent une histoire qui traverse les siècles. Dans un monde où les objets deviennent de plus en plus éphémères,︎5︎il offre une permanence et une profondeur que peu d’autres matériaux peuvent égaler. Ce retour à la matérialité, au contact direct avec la matière dans sa forme la plus noble, réaffirme que le design n’est pas seulement un exercice intellectuel, mais une pratique ancrée dans le concret et le tangible.

Cependant, cette réintroduction du bronze à notre époque soulève des questions cruciales. Comment concilier la richesse matérielle du bronze avec les exigences actuelles de durabilité – comprendre ici non seulement la capacité à créer des objets qui durent dans le temps, mais aussi à réduire l'impact écologique de leur production ? Peut-on véritablement honorer des techniques anciennes tout en les rendant compatibles avec les enjeux actuels ? Le bronze, avec sa profondeur et sa longévité, pourrait-il répondre à une tendance de plus en plus conceptuelle du design, parfois détachée de la réalité physique des objets ?

Réintroduire ce savoir-faire, c’est aussi repenser le rôle de l’artisanat dans une société dominée par l’automatisation et la production de masse. De par sa longévité et son lien direct avec les gestes artisanaux, peut-il servir de contrepoint à cette tendance, en réaffirmant l’importance du temps et du geste de la main au sein du processus de création ?



Sable de fonderie après la coulée


Cette réflexion sur la pérennité du matériau est essentielle dans ce contexte. Le bronze, par sa capacité à être refondu et réutilisé sans perdre ses propriétés, offre une réponse technique intéressante. Contrairement à d'autres matériaux composites ou hybrides, le bronze est pur et unique, ce qui facilite son recyclage. Son caractère monolithique simplifie les processus de réemploi, éliminant la complexité souvent liée à la séparation des matériaux. Issue de ressources naturelles et de techniques élémentaires, la fonte de bronze au sable propose une alternative face aux matériaux contemporains, souvent moins respectueux de l'environnement. Mais ces qualités de réemploi et de pérennité, bien qu'importantes, suffisent-elle à légitimer sa mise en lumière dans un contexte où la quête de nouvelles solutions matérielles et le rendement sont au cœur des préoccupations du design contemporain ? Ne devrions-nous pas également questionner la manière dont nous définissons la durabilité, en allant au-delà du simple critère technique pour intégrer des dimensions éthiques et sociales plus larges ? Comme le souligne Pierre-Damien Huyghe, la notion de "durable" est parfois trompeuse, puisqu’elle peut aussi désigner ce qui perdure sans pour autant être bénéfique ou souhaitable, à l’image des déchets nucléaires. Il est donc essentiel de se tourner vers une approche plus subtile, celle du "soutenable", qui prend en compte non seulement la longévité des matériaux, mais aussi leur impact sur l’écosystème et la manière dont ils s’intègrent de manière équilibrée et respectueuse dans l’environnement. Cette perspective plus nuancée permet de replacer le débat sur le bronze dans un cadre où l’enjeu n’est pas seulement de durer, mais de le faire de manière responsable et en accord avec les impératifs contemporains.

Ces questions ouvrent la voie à une réflexion plus large : comment une approche contemporaine du design peut-elle concilier harmonieusement les savoir-faire traditionnels avec les nouvelles technologies, et réconcilier l’utilisation de matériaux bruts avec des concepts plus complexes et sophistiqués ? En adoptant une approche "soutenable", il devient possible de redéfinir la place de techniques ancestrales, comme la fonte de bronze au sable, dans un cadre contemporain où la durabilité ne se limite pas à la longévité, mais inclut l’éthique de production et la dimension symbolique des objets.

À l’heure où la quête de sens devient essentielle, ces techniques anciennes peuvent non seulement perdurer, mais aussi s’épanouir en retrouvant une nouvelle pertinence dans un monde créatif en constante évolution. Le bronze, avec sa riche histoire et sa matérialité intemporelle, peut incarner un design qui préserve l’héritage artisanal tout en intégrant les avancées de la modernité. 

La réflexion à venir portera sur la manière dont l’alliance entre héritage et viabilité contemporaine peut non seulement protéger ces savoir-faire, mais aussi les projeter vers un avenir où authenticité et pérennité peuvent être des composantes fondamentales du design contemporain.

︎5︎ BAUDRILLARD, Jean, La Société de consommation, Paris, Gallimard, 1970. Ici, Jean Baudrillard explore l’idée de l’éphémère dans la production de masse et la consommation de biens. Il met en lumière la nature transitoire des objets dans un monde dominé par l’obsolescence programmée et la logique de consommation rapide.


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https://www.musee-rodin.fr/ressources/techniques/moulage


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https://www.reliance-foundry.com/blog/moulage-au-sable-fr


Rick Owens, disponible sur :
https://www.rickowens.eu/en/US/furnitures


Studio Liaigre, disponible sur :
https://www.studioliaigre.com/fr/

© Crédits photographiques : Tom Letellier
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